À l'approche de la date du 7 octobre, il était clair que nous devions la marquer d'une manière ou d'une autre, mais on ne savait pas exactement comment. En tant que peuple juif, nous ne manquons malheureusement pas de modèles pour nous souvenir des tragédies, mais lequel utiliser cette fois-ci ? Le format est-il celui d'un yahrzeit, une année commémorant la mort d'un membre de la famille proche ? Yom Hazikaron, pour les soldats tombés au combat et les victimes de la terreur ? Yom HaShoah ? Ticha B'av ? Pour compliquer tout cela, il ne s'agit pas exactement - ou pas seulement - de la commémoration d'un événement qui s'est produit dans le passé. Nous sommes encore plongés dedans. Comment se lamenter sur quelque chose, ou traiter quelque chose, que nous sommes encore en train de vivre ? Ce ne sont pas seulement les morts dont nous nous souvenons, les milliers de vies innocentes prises l'année dernière, mais aussi les vivants. Les noms et les visages des otages sont gravés dans nos mémoires, et rien ne peut nous détourner de nos prières, de nos exigences, pour qu'ils retournent bientôt auprès de leurs familles. Et pour ajouter encore une dimension à cette journée étrange et difficile, le sept octobre est tombé cette année entre Roch Hachana et Yom Kippour, les Yamim Nora'im, les jours redoutables, mais aussi, plus simplement, les jours terribles. Avec tous les parallèles avec d'autres expériences de notre mémoire collective, ce jour-ci est finalement unique.
Je pense que j’avais compris, dès la fin du 7 octobre de l'année dernière, que quelque chose d'historique s'était produit ; une rupture dans le temps qui réorganiserait ma vie en un avant et un après. Chacun ici a ses propres souvenirs de ce jour-là et des jours qui ont suivi. Pour moi, c'était de rester éveillé toute la nuit à écrire à mes frères, à mes cousins et à mes amis pour savoir qui était où. Voir mon ancien patron écrire que ses deux parents avaient été assassinés. Ma belle-sœur enceinte me racontant qu'à l'un des enterrements de cette semaine-là, il y avait une sirène et qu'elle avait dû trouver un moyen de se cacher parmi les pierres tombales sans blesser le bébé qu'elle portait. Deux de mes cousins qui ont été appelés pour identifier des cadavres, pendant des semaines et même des mois après la première attaque. Lire la liste croissante des noms des morts et des kidnappés, entendre les histoires des amis et de la famille, lire les nouvelles et comprendre la mort et la dévastation à Gaza. Tout ce que nous avons fait ici, les dons, les manifestations et les prières, était minuscule face à la violence qui semblait incontrôlable. Mais comment aurions-nous pu faire autrement ? Et c'est vrai qu'il y a aussi eu un vrai mouvement de solidarité que seule la tragédie peut entraîner, ici en France mais surtout en Israël. Si cet élan de soins est moins visible aujourd'hui, il n'a pas du tout disparu.
Je ne crois pas que les commémorations comme celle-ci soient un moment d'analyse politique, ni de contextualisation, ni même une occasion de donner de l'espoir. Il s'agit de comprendre la perte, de la ressentir non seulement avec notre cerveau mais aussi dans notre âme. La musique d'Elkana, de Kinneret, de Peter et de Yaïr ce soir est importante parce qu'elle nous touche profondément, tout comme les poèmes et les psaumes, qui nous donnent des mots à un moment où nous ne trouvons pas toujours les bons. Encore une fois, il y a peut-être de l'espoir, mais pas maintenant. Tout ce que nous avons, c'est d'être ensemble ce soir. Dans cinq ans et dans cinquante ans, la commémoration des événements du 7 octobre sera différente. Parmi les milliers de morts dont on se souvient ce soir, je veux évoquer un seul nom. Le 28 octobre 2023, Tamar Tropiashvili, une petite fille de neuf ans d'Ashdod, est morte d'une crise cardiaque alors que les sirènes sonnaient dans sa ville, alertant de l'arrivée de missiles. Sa perte, son cœur brisé est le symbole de toute la tragédie de l'année écoulée. יהי זכרה ברוך Que sa mémoire soit une bénédiction, que la mémoire de tous ceux qui sont morts soit une bénédiction, que les otages soient bientôt libérés, que les guerres cessent et que les douleurs guérissent, תכלה שנה וקללותיה תחל שנה וברכותיה que cette année et ses malédictions cessent et qu'une nouvelle année avec ses bénédictions commencent. Amen.
Merci pour ce texte, dans lequel chacun peut se reconnaître. La tristesse est actuellement, omniprésente chez nous tous alors que le juif est optimiste de nature. Nos vies ont été bouleversées et nous sommes contraints à ne pas faire le deuil car nous faisons le grand écart entre l’espoir et le vécu. Comment trouver un petit apaisement? Comme nos ancêtres, nous survivrons, comme nos ancêtres nous irons de l’avant et donneront au monde entier l’image du roseau qui plie mais ne casse pas. Nos ancêtres l’ont fait, nous le ferons en toute lucidité.
Amen